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Judaïsme libéral, ressources en Français
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12 janvier 2014

Les femmes et la prière dans le judaïsme libéral, Rabbin John Rayner z"l - Traduction Rabbin François Garaï

les femmes et la prière

rabbin John Rayner

De nombreux rabbins se sont exprimés à la suite à l'organisation d'offices par des femmes orthodoxes pour des femmes orthodoxes. Certains rabbins orthodoxes ont autorisé de tels offices à condition que la Torah ne soit pas lue et que ne soient pas prononcées les prières qui nécessitent un minyan, c’est-à-dire, selon leur approche de la Halakhah, la présence de dix hommes. D’autres rabbins de la même tendance autorisèrent la lecture de la Torah dans de telles conditions. Cette pratique "féminine" s’est généralisée dans les pays anglo-saxons en créant parfois de vives oppositions. Sur ce sujet, nous vous proposons un texte du rabbin John Rayner paru dans Manna no44 de l’été 1994.

 

Le premier chapitre de la Bible affirme que Dieu créa simultanément l’homme et la femme et que tous deux possédaient le reflet divin. Nous devrions donc en déduire que l’homme et la femme sont égaux en dignité et en droit. Mais la théologie a eu beaucoup moins d’influence sur le rôle respectif de l'homme et de la femme que les conditions économiques et sociales. Néanmoins les Matriarches ont certainement eu une plus grande influence sur leurs époux que le texte biblique ne le laisse supposer, et des femmes ont rempli des rôles importants ou des fonctions importantes tels celui de prophétesse, de juge et de reine.

Rappelons au sujet des offices de femmes que Myriam invita les femmes à chanter le Cantique de la Mer des Joncs (Exode 15), que le récit montrant Hannah en prière sert de base à de nombreux textes légaux qui définissent le comportement pendant la prière (1Samuel 1-2, Berakhot 31a-b), que Houldah autorisa la publication du livre du Deutéronome découvert pendant la réfection du Temple sous le roi Josias (2Rois 22 :14-20).

Le texte biblique insiste également sur la présence des femmes lors de la confirmation de l’Alliance entre Dieu et Israël (Deut.29 :10, 31 :11), et un ancien Midrach déclare que lorsque la Torah parle de la maison de Jacob, elle fait allusion à la présence des femmes (Mehilta sur Exode 19 :3).

La femme ayant été présente lors de la promulgation des Dix Commandements et de l’Alliance entre Dieu et le peuple d’Israël, on aurait pu s’attendre à ce qu'elle joue un rôle égal à celui de l’homme dans les deux éléments essentiels de la vie juive : le culte et l’enseignement. Mais tel ne fut pas le cas.

Dans le domaine du culte, le devoir de pèlerinage n’incombait qu’aux hommes. Comme la prêtrise ne s'appliquait qu'aux descendants mâles de la lignée d'Aaron, les autres Juifs, hommes et femmes, n'avaient pas capacité à participer au service du Temple et ne pouvaient qu'y assister. Les sources postbibliques parlent d’une ezrat nashim / cour des femmes (Middot 2 :5) qui semble avoir été nommée ainsi à l’époque du deuxième Temple seulement. Mais à l'intérieur de cet espace se trouvaient également les hommes. Le Talmud précise qu’une fois par an, à l’occasion de la fête des libations (simhat beit hashoéva), on construisait une galerie pour les femmes afin qu’hommes et femmes soient séparés et éviter ainsi une promiscuité qui pouvait entraîner une certaine licence. Ce texte montre bien qu’en dehors de cette fête, la séparation homme/femme n’existait pas dans le Temple de Jérusalem (Soukkah 51b-52a).

Sur un autre plan, la Bible ne précise pas si l’éducation des filles devait être assurée. Mais nous savons que lorsque le peuple était réuni tous les 7 ans pour la lecture publique de la Torah, les femmes étaient explicitement incluses dans l’assemblée (Deut.31 :12).

Ce n’est qu’à l’époque des Pharisiens et des rabbins que le statut juridique de la femme fut précisé.

Dans la littérature rabbinique, littérature écrite par des hommes et pour des hommes, l’opinion sur les femmes va du compliment au dénigrement. Elles sont considérées comme pleines de compassion (Meguillah 14b) et plus intelligentes que les hommes (Niddah 45b), comme elles sont critiquées pour leur propension à parler (Kiddouchin 49) et pour leur mauvaise volonté (id. 80b). On compare leur mentalité à celle des enfants et des esclaves (Yalkout Chim’oni sur 1Samuel 1 :13). Elles sont glorifiées pour leur rôle de mère et de maîtresse au foyer, mais leurs droits en matière matrimoniale, en dépit de certains progrès par rapport aux législations anciennes, sont minimes. Leur place est au sein du foyer et leur rôle au sein de la société est celui d’une subordination presque totale à la volonté des hommes. Elles gagnent leur mérite en envoyant leurs fils à la maison d’études et leurs maris aux yeshivot, et en les attendant à la maison (Ber. 17a). Au même titre que les mineurs et les esclaves, elles n’ont pas d’identité juridique propre, leur témoignage est irrecevable (Chevouot 4 :1) et elles ne peuvent pas être juges (Jer. Yoma 6 :1). Selon Maïmonide, elle ne peuvent pas remplir non plus de fonction publique (Hilkhot Melakhim 1 :6).

La bénédiction que tout homme juif doit prononcer le matin : Béni sois-Tu Eternel, notre Dieu Roi du monde, qui ne m'a pas fait femme (Menahot 43b) est suffisamment explicite. L'affirmation que le judaïsme rabbinique attribue à la femme un rôle différent de celui de l’homme, mais non un statut inférieur, doit être prise pour ce qu’elle est: non comme une explication positive de la femme, mais comme une tentative de masquer la réalité, son statut restant inférieur et subordonné à celui de l’homme. Pour qualifier leur statut on peut reprendre la définition de Rachel Bayle : Elle n’a aucun rôle public, le foyer est son domaine (Women in Jewish Law p.40).

La question qui nous concerne surtout est le statut de la femme vis-à-vis des mitvzot. La Michnah précise que la femme est sujette à tous les commandements à l’exception des commandements positifs liés à un moment spécifique : mitzvot assé shéhazeman g’rama (Kid. 1 :7). Selon l’explication généralement donnée, le but de cette exemption était de permettre aux femmes d’assurer leur rôle de mère et de femme au foyer sans se trouver en difficulté face à certaines obligations religieuses qui devaient être mises en pratique au même moment. Mais toutes les femmes n'ont pas charge de jeunes enfants et le temps pour accomplir la plupart des commandements leur laisse une assez grande latitude pour mettre en pratique les commandements positifs liés à des temps déterminés. La conclusion qui s’impose est que les rabbins ont confiné la femme à des rôles purement domestiques. L’exemption d'accomplir certains commandements s’est muée en interdiction. Les femmes ont été privées de tout rôle public et confinées à l’intérieur du foyer.

On peut aussi s’étonner que la femme soit exemptée de la récitation biquotidienne du Chema, ce d'autant plus que le Chema est la profession de foi juive et qu’il est possible de le dire pendant de nombreuses heures, tant le soir que le matin. Néanmoins le Choulhan Aroukh précise que l'on doit enseigner aux femmes la première phrase du Chema, afin qu’elles acceptent le joug du royaume céleste (Orakh Hayim 70 :1).

Bien que la Amidah doive être prononcée à des moments déterminés et que les femmes ne devraient donc pas être astreintes à sa récitation, la Michnah précise que les femmes doivent réciter la Amidah (Kiddouchin 1 :7). La Guemara explique cette contradiction par le fait que la femme, autant que l’homme, ressent le besoin de prier Dieu et doit donc dire la Amidah (Ber. 20b). Quant à Maïmonide, il pense que la Michnah parle du besoin ressenti par la femme de prier (Hil. Tefillah 1 :1). Le devoir de prier découle donc de ce besoin et d'une analogie verbale dans le texte de la Torah (entre Exode 23 :25 et Deut.11 :13, Taanit 2a). Comme ce besoin de spiritualité n'est pas lié à un moment précis, ce devoir de prier ne s’applique pas à la Amidah qui reste non obligatoire pour les femmes. D'autres commentateurs avancent que, dans l'optique de la Torah, il est suffisant que la femme prie spontanément le matin à son réveil et que telle est l'opinion des rabbins à laquelle la Michnah fait allusion (Beer Hétav Orah Hayim 106:1). Ces opinions sont contraires à celle de Nahmanide qui affirme que la Michnah se réfère à la Amidah du matin et de l'après-midi puisque celle du soir, comme la prière du soir, n'est pas obligatoire même pour les hommes (voir Michnah Berourah note 5 sur Orah Hayim 106:1). Néanmoins, l'auteur du Aroukh Hachoulhan précise que nos femmes ne sont pas scrupuleuses dans la récitation de la Amidah du matin et de l'après-midi (Orah Hayim 106:12), ce qui montre que l'on considérait alors que la récitation de la Amidah était considérée comme un devoir pour la femme. On trouve donc dans la Tradition une grande variété d'opinions concernant l'obligation de la prière pour les femmes.

On retrouve les mêmes raisonnements en ce qui concerne la question de la lecture de la Torah pour les femmes, question qui est liée à celle concernant l'éducation des femmes. L'approche traditionnelle est négative. Si Ben Azzaï dit que les pères juifs doivent enseigner la Torah à leurs filles, Rabbi Eliezer affirme qu'enseigner la Torah à sa fille est lui enseigner la frivolité (Sotah 3:4). L'opinion de rabbi Eliezer a prévalu et a été codifiée dans le Choulhan Aroukh qui affirme que le mérite de l'étude n'est pas le même pour l'homme que pour la femme et précise qu'il n'est pas nécessaire d'éduquer la femme puisque qu'elle est incapable d'étudier la Torah avec l'esprit qui convient (Yoré Déah 246:6).

On trouve néanmoins l'exemple de femmes qui sont louées pour leurs qualités intellectuelles. Ainsi Berouriah, la femme de rabbi Méïr, avait, par son savoir, gagné le respect de ses contemporains. Certains textes insistent sur la nécessité d'enseigner aux jeunes filles les éléments essentiels qui leur permettent de mener une vie juive (Sefer Hassidim 313) et l'orthodoxie moderne a parfois organisé un enseignement pour les filles. C'est pourquoi Yeshayhou Leibowitz a affirmé que refuser aux femmes l'étude de la Torah n'est pas les libérer d'une obligation, mais leur nier un droit élémentaire. (voir Bayle livre cité p.38). Mais l'ambivalence persiste au sein du judaïsme orthodoxe.

Néanmoins, en prenant en compte le principe de hakhèl (Deut. 31:12), c'est-à-dire l'invitation faite aux femmes aussi bien qu'aux hommes de se réunir pour écouter la lecture publique de la Torah tous les 7 ans, on aurait pu penser que les femmes, au même titre que les hommes, pouvaient participer à la lecture de la Torah. Cela est vrai sur le plan juridique puisque dans Tossefta l'opinion est que tous peuvent être inclus parmi les sept appelés à la Torah le jour du Chabbat, un mineur de même qu'une femme. Mais, sans fournir de raison, le texte précise qu'il n'est pas d'usage de donner à une femme l'occasion de lire la Torah en public (Tos. Megui. 3:11, 4:11). Cette affirmation se retrouve dans le Talmud qui invoque, pour ne pas inclure la femme dans les appelés à la Torah, la raison du kevod tsibbour (le respect de la communauté), c'est-à-dire par considération pour la dignité de la communauté (Meg. 23a).

Cette phrase veut très certainement laisser entendre qu'un visiteur pourrait penser, en voyant une femme lire dans la Torah et en ne sachant pas que dans cette communauté cette pratique est courante, que les hommes sont incapables de le faire. Il en serait de même pour une femme prononçant le birkat hamazon (prière après le repas) en présence de son mari, acte considéré comme une disgrâce pour son mari (Ber 20b). Mais Rachi ajoute qu'il n'est pas d'usage de donner aux femmes un rôle religieux que l'homme est habituellement appelé à jouer, afin de ne pas galvauder le respect que l'on doit pour la Torah et les prophètes (sur Meg. 23a). Cette remarque suggère qu'à l'époque de Rachi, il ne devait pas être si inhabituel de voir les femmes être appelées à la Torah, surtout comme maftir (précédant la lecture de la Haftarah).

Il faut ajouter que la Michnah n'exclut pas les femmes de la lecture de la Meguillah d'Esther (Meg. 2:4, voir aussi commentaire de Maïmonide) ni de celle de la Torah (Meg. 4:6). Selon le halakhiste Isserless (1525-1572), l'interdit talmudique d'appeler des femmes pour la lecture de la Torah s'applique à une situation particulière, celle où uniquement des femmes seraient appelées à la Torah à l'exclusion des hommes (Orah Hayim 75:3). De même, Menahem Meïri précise qu'à partir du moment où un appelé est un homme, les autres appelés peuvent être des femmes (Beit Habehirah à Meg.23a). De cet enseignement on peut conclure que dans une assemblée composée uniquement de cohanim (descendants putatifs des prêtres du Temple), les femmes pourraient être appelées à la Torah en lieu et place des Juifs non cohanim (Beit Yossef sur Orah Hayim 135).

Il apparaît donc clairement qu'en ce qui concerne la prière, l'éducation et la lecture de la Torah, la Tradition fournit, à ceux qui le désirent, de quoi s'opposer à un rôle actif des femmes dans le cadre de l'office, en particulier avec lecture de la Torah. Certains halakhistes ajoutent que les personnes qui ne sont pas dans l'obligation d'accomplir un commandement ne peuvent pas prononcer la bénédiction achèr kidechanou bemitsvotav / qui nous as sanctifiés par Ses commandements, ce qui implique qu'elles ne peuvent pas accomplir les actes liés à ces commandements ou que l'accomplissement de tels actes est considéré comme nul et non avenu. Un autre principe est qu'une personne non tenue d'accomplir un commandement ne peut pas l'accomplir au nom d'autres personnes et que l'obligation continue à incomber à ces dernières. Il faut également tenir compte d'une attitude puritaine qui concerne la femme puisque, pour certains, voir une femme ou entendre sa voix, sont considérés comme des provocations d'ordre sexuel et comme des sources de distraction pour les hommes. Kol ichah ervah / la voix de la femme est incitation à la débauche affirme le Talmud (Ber 48a, Orah Hayim 135). Cette mentalité a mené, après le XIIIe S., à la stricte ségrégation sexuelle à l'intérieur de la synagogue.

Il faut aussi rappeler cette opinion répandue qui affirme que la femme ne peut pas toucher la Torah, car elle peut être dans sa période d'impureté menstruelle et communiquer ainsi son impureté à la Torah. Cette objection est sans fondement. D'une part un Sefer Torah ne peut pas devenir impur, d'autre part, dans le Choulhan Aroukh, Joseph Caro affirme que tous (hommes et femmes), même en période d'impureté, peuvent lire dans la Torah (Orah Hayim 88:1, cf Ber. 22a). Moses Isserless cite une opinion contraire, pour la rejeter aussitôt.

L'opposition au rôle actif de la femme au sein de la synagogue ne se fonde donc pas sur les textes mais sur les a priori et la mentalité de ceux qui s'y opposent. Il est évident que certains textes permettent d'interdire toute participation féminine aux offices, et de rendre impossible l'organisation par des femmes d'offices pour des femmes comprenant la lecture de la Torah et les prières qui nécessitent la présence d'un minyan (qui dans leur approche ne peut être composé que de dix hommes). Si certains rabbins orthodoxes ont interdit de tels actes, d'autres les ont autorisés car, comme le rappelait en 1974 déjà le rabbin Dr Louis Jacobs dans le Jewish Chronicle, aucune loi n'interdit à la femme de participer et même de diriger un office. Or personne n'a démenti ce propos.

On peut au contraire citer de nombreux textes qui permettent une très large participation de la femme au sein de la synagogue. Mais on peut aussi poser différemment cette question et se demander sur quelle base reposent ces affirmations traditionnelles. Nous pouvons mettre en question la validité que nous accordons aux affirmations qui concernent les femmes et leur nient un statut juridique propre, qui les confinent uniquement dans un rôle domestique en les exemptant de certains commandements, les rendent inaptes à certaines fonctions, prétendent qu'enseigner la Torah à une jeune fille est lui enseigner à la frivolité et qu'elles ne peuvent pas étudier avec sérieux, et décident que les appeler à la Torah est un déshonneur pour les hommes présents. Pour nous, la réponse à ces questions est évidente et nous remettons en question le principe même qui assujettit la femme et la confine à un rôle passif. Faut-il rappeler également qu'une option peut être valable à un moment donné sans pour cela garder sa validité à une autre époque ?

Ceci étant, nul ne peut s'empêcher de s'étonner qu'il ait fallu autant de temps pour que la femme obtienne une égalité de traitement au sein des communautés libérales. En 1837, Geiger écrivait : à partir d'aujourd'hui, il ne doit plus y avoir de distinction entre les droits et les devoirs des hommes et ceux des femmes, mis à part ceux qui résultent de la différence naturelle entre eux. (W.G. Plaut, The rise of Reform Judaism p.253). Pourtant, ce n'est qu'en 1920 que les femmes furent autorisées à diriger les offices à la West London Synagogue de Londres et en 1972 que la première femme accèda à la charge rabbinique. Même aujourd'hui le défi de Lilly Montagu, lancé en 1928 lors de la Conférence de l'Union mondiale pour le judaïsme libéral : les femmes doivent descendre de leur galerie, reste d'actualité dans de trop nombreuses communautés.

Actuellement la situation dans les communautés libérales est suffisamment satisfaisante pour les femmes puisqu'elles participent pleinement aux offices et que certaines sont rabbins. C'est pourquoi elles ne ressentent pas le besoin d'organiser des offices à leur intention. Combien de décennies faudra-t-il pour qu'il en soit ainsi au sein des communautés orthodoxes ? Dieu seul sait.

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